Réflexions antiques sur l’image
La collaboration étroite entre iconographes et spécialistes de la littérature antique permet d’étudier différentes modalités du rapport entre poésie hellénistique et images. Le plus souvent, la tradition littéraire et la tradition figurée évoluent de manière indépendante, chacune obéissant à ses propres logiques de transmission, d’imitation et de création. Il arrive cependant que la mise en parallèle d’un texte et d’une image permette d’affiner considérablement notre compréhension de l’un ou l’autre document. C’est à de tels exemples que nous avons choisi de nous attacher dans le cadre du corpus numérique Callythea qui met à disposition du public des textes poétiques de l’époque hellénistique qui évoquent ou relatent un épisode mythologique et propose des rapprochements pertinents entre ces textes et la documentation figurée.
Les textes poétiques analysés sont pour la plupart dus à des auteurs qui opéraient dans le cadre d’une cour et qui avaient, à ce titre, la possibilité de fréquenter des artistes renommés. Écrivant sous le regard du prince, ces hommes de lettres s’intéressèrent de près à l’exégèse et à la célébration des œuvres d’art. Plusieurs des auteurs traduits et commentés dans le corpus numérique Callythea eurent aussi une activité de philologues et d’éditeurs de textes : fins connaisseurs des théories rhétoriques et poétiques, ils maîtrisent parfaitement les techniques d’enargeia (capacité d’un texte à mettre l’action ou ce qu’il décrit sous les yeux de son lecteur). Aussi se sont-ils, pour la plupart, intéressés à la question de la formation des images mentales et aux techniques que le poète peut utiliser pour aider son lecteur à visualiser une scène donnée. Les auteurs qui ont retenu notre attention sont donc, à deux égards au moins, des « spécialistes des images » : dans leur effort pour expliquer et recenser les vestiges du passé, ils déploient des compétences d’historiens de l’art et de spécialistes de la mythologie ; par leurs connaissances techniques dans le domaine de la critique littéraire et par leur pratique de l’exégèse textuelle, ils ont pu développer une réflexion originale sur l’imitation (mimesis) et sur le rapport qui peut exister entre les caractéristiques stylistiques d’un texte et sa capacité à solliciter l’imagination du lecteur.
Il n’est pas rare que les poètes sollicitent explicitement ou implicitement la culture visuelle de leurs lecteurs et leurs connaissances dans le domaine de l’histoire de l’art. La tâche de l’iconographe consiste dès lors à reconstituer, pour le public moderne, la culture visuelle qui était celle du poète et de son lectorat. Dans d’autres cas, la comparaison avec des documents iconographiques permet probablement de reconstituer le contexte de composition d’un texte de datation incertaine. Il arrive enfin, dans de très rares occurrences, qu’un texte littéraire ait inspiré la création d’une œuvre figurée destinée à l’illustrer. C’est à l’ensemble de ces cas de figure que nous entendons nous attacher par une étude approfondie des sources poétiques et de la documentation figurée.
Dans la continuité des travaux fondateurs menés par J. J. Pollitt, puis, en France par A. Rouveret et l’équipe ESPRI, nous poursuivons l’étude de la terminologie critique des Anciens, avec un accent mis sur les échanges entre lexique rhétorico-poétique et théorie des arts à l’époque hellénistique puis impériale. La publication en 2001 du P. Mil. Vogl. VIII, 309, papyrus contenant un recueil de poèmes de Posidippe de Pella qui s’intéressent, pour plus d’un tiers d’entre eux, à des œuvres figurées, nous a livré l’un des chaînons manquants de la critique d’art et de la critique littéraire antique. L’étude de ces nouveaux poèmes a par exemple permis de mettre en évidence la prégnance de quatre notions (le couple megethos [grandeur] – akribeia [précision] et le couple semnotès [noblesse, caractère imposant du style] – leptotès [subtilité et finesse]) dans le bagage théorique de cet auteur du début de la période hellénistique.
Les travaux menés de 2008 à 2012 dans le cadre de l’ANR CAIM ont permis d’améliorer notre compréhension des fragments de plusieurs théoriciens majeurs, tels que Douris de Samos, mais aussi des grilles d’analyse stylistique développées par les critiques anciens. Ces travaux se poursuivent au sein d’un réseau de collaborations national et international qui doit déboucher sur la publication du Dictionnaire des images du poétique, co-dirigé par J.-Ph. Guez, Fl. Klein, J. Peigney et É. Prioux.