Productions céramiques
Ce programme scientifique porte sur l’analyse des productions céramiques – et notamment des chaînes opératoires – en tant que témoins des premières sociétés complexes de Mésopotamie et du Levant Nord, pour en comprendre à la fois l’organisation interne (sur le plan de la production et de la structure sociale) et les relations réciproques (sur le plan des échanges et des rapports territoriaux). À partir de la diffusion de l’entité culturelle dite d’Obeid, au 6ème millénaire, les communautés villageoises de Mésopotamie (au Nord comme au Sud) et du Levant sont caractérisées par des parallélismes culturels importants, tels des cimetières extramuros, une nette hiérarchisation des habitats et des architectures, des productions céramiques dites « de masse » et l’émergence du tour de potier. Néanmoins, ces phénomènes sont déclinés selon des modalités et des rythmes fort différents selon les régions. L’approche qui est choisie vise à définir les spécificités locales et les relations structurelles entre les différents parcours vers la dite « complexité sociale ». Par rapport aux méthodes traditionnelles visant à classer les sociétés des 6ème-4ème millénaires selon des « cultures » archéologiques différentes, la reconstruction des systèmes de production céramiques permet d’identifier des traditions techniques, qui étaient propres à des groupes sociaux spécifiques. Cela offre la possibilité de reconstruire les relations territoriales et techniques (conservatismes, disparitions, innovations, hybridations) entre les chaînes opératoires et, par conséquents, entre les groupes sociaux sous-jacents
Ce projet vise à apporter de nouvelles données concernant l’organisation et la diffusion des productions potières, par le biais de l’étude des matières premières céramiques (étude pétrographique en macroscopie et en microscopie). La caractérisation des matières premières permet de caractériser et classer les pâtes céramiques, en observant leur répartition syn- et diachronique. Dans un premier temps, nous souhaitons ainsi reconstituer les premières étapes de la chaîne opératoire (sélection et traitement des matières premières) et le cadre socio-économique de la production céramique. Cette étude permet également de documenter la provenance des matériaux et de proposer des sources d’approvisionnement en matières premières. Enfin, comparer les pâtes céramiques de productions issues de plusieurs sites contemporains permet d’identifier des échanges et de reconstituer des réseaux de circulation de biens. Ce projet porte sur les assemblages de plusieurs sites du Levant nord : Tell Arqa et la plaine du Akkar, Enfeh et Ardeh au Liban nord ; mais aussi Tell Mishrifeh et Ras Shamra en Syrie occidentale.
François Bridey : thèse de doctorat en cours
Le site de Suse, en Iran de l’Ouest, a fait l’objet d’importances fouilles menées par des équipes françaises entre 1897 et 1979. En vertu des conventions franco-persanes de 1895 et 1900, l’ensemble du matériel découvert à Suse est venu enrichir les collections publiques françaises, ce qui fait de la collection d’antiquités iraniennes du musée du Louvre la plus importante au monde après celle de Téhéran.
Les fouilles de 1906 – 1908 explorèrent en particulier les premiers niveaux d’occupation du site (phase dite de Suse I), datables entre 4200 et 3800, et mirent au jour la nécropole contemporaine de la fondation de la ville. Entre 1000 et 2000 tombes constituaient cette nécropole qui a livré, entre autre, un riche matériel céramique peint. Cette céramique peinte dite de Suse I, de grande qualité, s’inscrit dans une tradition artisanale plus large, caractéristique de l’Iran protohistorique de la fin du 5e et du début du 4e millénaire. Suse se trouve en effet, à l’époque de sa fondation, intégrée dans une vaste koinè culturelle rassemblant des sites aussi éloignés, entre autres, que Tall-i Bakun dans le Fars, Tépé Giyan et Ismaïlabad à l’est du Luristan, Tépé Sialk en bordure du désert central de Kavir, Tépé Hissar, loin au nord-est, et Suse, dans la plaine du Khuzistan (Susiane), aux frontières du monde mésopotamien.
Le hasard des fouilles et l’histoire de l’archéologie française en Iran offrent ainsi aujourd’hui la possibilité unique d’étudier, à l’échelle d’un site tout entier, un ensemble cohérent et complet, illustrant un artisanat spécialisé bien circonscrit dans le temps. La collection est estimée à environ 1500 pièces, conservées au musée du Louvre à l’exception d’une petite centaine conservée au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Au Louvre, 1000 vases environ sont remontés, auquel il faut encore ajouter près de 400 vases non remontés. Aussi, et malgré la publication de la fouille de la nécropole dans les Mémoires de la Délégation en Perse (vol. XIII, 1912), la collection de céramique de Suse I reste en majeure partie inédite et aucune étude exhaustive n’a depuis lors été menée sur ce matériel.
L’objectif de ce programme est donc de réaliser en premier lieu un inventaire exhaustif et systématique de la collection pour l’établissement d’un catalogue raisonné de ce matériel incluant également l’ensemble des dépôts faits par le Louvre, les pièces conservées à Saint-Germain-en-Laye et celles restées en Iran. Au Louvre, les vases non remontés font l’objet de remontages et de restaurations spécifiques, qui est aussi l’occasion de s’intéresser aux aspects techniques et technologiques mis en œuvres pour la réalisation de ces pièces. Au-delà, l’étude typologique, statistique et iconographique de ce matériel, confronté à celui de sites contemporains du Khuzistan et du plateau iranien, permettra de le replacer dans un contexte régional plus large : ainsi la chronologie de la Susiane protohistorique pourra-t-elle être précisée, tout comme la place exacte de Suse dans cette chronologie, dans les interactions entre les sites régionaux et dans le développement de cette « civilisation » proto-urbaine.