Colloque du projet ACuTe “Antiquity in a Cup of Tea”. Les destins modernes de la collection céramique de Dominique Vivant Denon
Colloque du projet ACuTe “Antiquity in a Cup of Tea”.
Les destins modernes de la collection céramique de Dominique Vivant Denon
Les 3 et 4 octobre 2022
Université Paris Nanterre, MSH Mondes, bâtiment Max Weber, amphithéâtre
Comité d’organisation: Anaïs Boucher (Cité de la céramique – Sèvres) Marianne Cojannot-Le Blanc (Université Paris Nanterre) Viviane Mesqui (Cité de la céramique – Sèvres) Évelyne Prioux (CNRS)
Institutions organisatrices : Labex “Les Passés dans le Présent” (projet ACuTe), Cité de la Céramique – Sèvres, Université de Paris Nanterre, EA HAR UMR 7041 ArScAn (équipe LIMC&ESPRI)
Argumentaire
L’objet du présent colloque est d’étudier les destins modernes de la collection de vases antiques de Dominique Vivant Denon. Arrivé en Italie en 1777 pour encadrer une équipe de dessinateurs voyageant en Italie du Sud et en Sicile, Denon profita de son voyage pour effectuer des fouilles clandestines et pour acquérir des vases auprès de particuliers.
Devenu chargé d’affaires à l’ambassade de France à Naples, il poursuivit ses acquisitions jusqu’en 1785 et transforma le Palais Calabritto, l’ambassade de France à Naples, en un véritable musée de céramique antique. C’est durant ces années que Denon fit restaurer une partie de ses vases à Capodimonte, fit la rencontre d’autres collectionneurs d’antiquités, mais aussi d’un ou plusieurs faussaires. C’est également durant ces années que Domenico Venuti, directeur de la manufacture de porcelaine de Capodimonte, eut accès à la collection de Denon et s’en inspira pour la réalisation de l’/Etruscan Service/ destiné par le roi de Naples à George III, roi d’Angleterre. Ce service, censé exalter la beauté et l’originalité des collections du roi de Naples, reprend paradoxalement, sur plus d’une vingtaine de pièces, des formes et des motifs empruntés à la collection du français Denon. Cette vie napolitaine de la collection Denon demeure à ce jour presque inconnue et le premier objectif de notre colloque consiste à comprendre les conditions qui ont pu pousser Venuti à utiliser ce modèle plutôt qu’un autre.
Lorsque Denon s’apprête à repartir en France, il entre en tractations avec le comte d’Angiviller pour essayer de vendre sa collection de 525 vases antiques au roi Louis XVI. Selon le point de vue qui domine encore au XVIIIe siècle, avant que les analyses de Winckelmann ne s’imposent et ne soient reprises dans toute l’Europe, ces céramiques sont des vases “étrusques”, adjectif par lequel on désigne alors l’ensemble des productions préromaines exhumées en Italie. En réalité, la collection Denon se compose de contenus très variés: un très petit nombre de vases corinthiens et de vases étrusques, un petit contingent de vases attiques, un petit groupe de vases peucétiens recourant à un langage iconographique d’ascendance peucétienne et un vaste ensemble de vases italiotes qui furent créés dans les centres hellénophones ou fortement hellénisés d’Italie du Sud et dont le langage iconographique s’inspire de la céramique attique.
Une fois acquise par le roi, la collection Denon était censée rejoindre le futur Museum des arts (musée du Louvre), alors en pleins travaux d’aménagement. Mais ces travaux se prolongeant, la collection dut être entreposée en d’autres lieux et c’est ainsi qu’elle rejoignit, presque fortuitement à ce qu’il semble, la manufacture de Sèvres. Le comte d’Angiviller justifie son choix par la volonté de développer, chez les artistes de Sèvres, le “goût étrusque” qui prévaut déjà dans le reste de l’Europe. Ce projet s’est déjà traduit, en 1785, par la nomination de Jean-Jacques Lagrenée dans l’établissement: le jeune peintre, féru d’archéologie, a effectué un long séjour en Italie et s’est déjà intéressé de près aux vases antiques vus au cours de son séjour. Un débat historiographique existe néanmoins autour du succès du projet du comte d’Angiviller, une partie de la bibliographie allant jusqu’à affirmer que les vases n’ont guère intéressé les artistes de la manufacture dans les deux décennies qui ont suivi leur arrivée.
Or, comme nous essayerons de le montrer dans ce colloque, certains artistes de la manufacture, comme le peintre Jean-Jacques Lagrenée et le sculpteur Louis- Simon Boizot, se sont bien emparés de ces nouveaux modèles dès leur arrivée.
Cet aspect demeure très mal connu parce que les contours exacts de la collection Denon étaient en partie oubliés jusqu’à une date récente: les vases antiques qui inspirent le plus les artistes sévriens du XVIIIe siècle ne sont pas les céramiques à figures rouges qui utilisent un langage iconographique grec, mais des produits de l’artisanat étrusque ou d’ateliers peucétiens et messapiens.
Exemples isolés de céramiques monochromes à peinture mate, les vases peucétiens de Sèvres n’ont toutefois pas rencontré l’intérêt des spécialistes du domaine; quant aux vases étrusques en bucchero, leur appartenance à la collection Denon était tombée dans l’oubli depuis le XIXe siècle. Pour ces raisons, le rôle exercé par la collection Denon dans l’inspiration des artistes et artisans du XVIIIe siècle était globalement passé inaperçu.
Un troisième volet sera consacré en propre aux échos de la collection Denon dans les créations de la première moitié du XIXe siècle. Les tarifs et projets crème étrusque à bourrelets, pot à crème D[enon], moutardier étrusque, théière étrusque d’enfant et théière étrusque dessinée par Alexandre Brongniart — témoignent de la présence écrasante du modèle des vases Denon dans les formes élaborées au cours du premier quart du XIXe siècle… La position dont Denon jouit sous le règne de Napoléon lui permet en effet d’avoir un regard direct et d’exercer un rôle de conseil et de contrôle auprès de Brongniart et c’est Denon lui-même qui indique à Brongniart quelles pièces reproduire pour les services destinés à la famille impériale, comme le montre le cas d’étude que constituent les cabarets égyptiens. Plusieurs pièces, comme le sucrier, le pot à lait ou les tasses, sont directement issues du moulage d’objets de la collection Denon qui en conservent parfois les marques physiques aujourd’hui. Ces productions à l’antique influencent alors d’autres manufactures et sont également exposées, commentées et critiquées dans les expositions d’arts industriels.
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