Programme transversal sur les biomatériaux

Exemples de conservation de biomatériaux au Xinjiang (© travaux de la MAFX). À gauche et au centre : corps momifié textiles et reste alimentaire, site de Djoumboulak Koum (âge du Fer). À droite : vannerie et toisons de l’âge du Bronze (Keriya nord).

Ce programme est adossé aux travaux de la Mission archéologique franco-chinoise au Xinjiang (MAFCX, dir. C. Debaine-Francfort) qui explore depuis 1991 les deltas intérieurs fossiles de la rivière Keriya, au cœur du désert du Taklamakan (Chine). Venant compléter les données fournies par la fouille de « tombes gelées » dans l’Altaï (dir. H.-P. Francfort), les nombreux sites découverts ont en commun leur exceptionnelle richesse en biomatériaux desséchés : habitat et structures funéraires en bois et hourdis végétaux, corps vêtus momifiés, textiles et vanneries, fourrures et plumes, cornes et tendons, déjections animales, restes végétaux et animaux de toute sorte remontant à l’âge du Bronze (Cimetière Nord, c. 2200-1500), à l’âge du Fer (oasis de Djoumboulak Koum, Ier mill. avant n. è.) et à l’Antiquité (oasis de Karadong, IIIe-IVe siècles de n. è.).

Une vision colorée et plus subtile des civilisations du passé

De tels vestiges, rarement conservés sur les sites archéologiques, donnent une image plus vivante des populations anciennes en procurant des données concrètes sur leur façon de se vêtir, se coiffer ou s’alimenter, sur leur environnement végétal et animal, sur leur économie de subsistance (pratiques agropastorales) et leur artisanat (bois, vannerie, textile…). Ils éclairent ainsi d’un jour nouveau le fonctionnement des civilisations du passé, ouvrent la réflexion à des pratiques – funéraires, religieuses ou rituelles non documentées par les textes (voir programme Labex GANYING) – et permettent d’établir des connexions interculturelles insoupçonnées à partir d’autres matériaux. Dans certains cas, ces biomatériaux révèlent même l’existence de civilisations évanouies n’ayant laissé derrière elles qu’un petit nombre de matériaux non périssables.

Une approche pluridisciplinaire et sur la longue durée des biomatériaux

Cette richesse de nos sites en biomatériaux est à l’origine du programme pluridisciplinaire qui leur est dédié. Amorcé par l’étude des momies de Djoumboulak Koum (anthropobiologie, costume, coiffes et coiffures, peintures corporelles et tatouages …), ce programme se concentre actuellement sur les études textiles au sens large. Il combine études archéobotaniques, archéozoologiques et paléoenvironnementales, étude des techniques et des matériaux, archéologie expérimentale, enquêtes ethnographiques et prélèvements sur des animaux vivants ou empaillés à un large panel d’analyses (microscopique, isotopique, protéomique et chromatographique). Cette approche globale nourrit une analyse systémique des sociétés centrasiatiques de l’âge du Bronze aux premiers siècles de notre ère. Elle intègre une réflexion méthodologique et la constitution de référentiels et de banques de données analytiques. Les recherches  reposent sur un vaste réseau de collaborations entre chercheurs et laboratoires français et étrangers.

Textiles et toisons

L’étude des textiles permet d’évaluer sur la longue durée l’évolution des pratiques et de leurs chaînes opératoires (de la sélection des fibres aux produits finis, en passant par les techniques de feutrage, tressage, tissage et les procédés de teinture mis en œuvre). Initiée sur l’énorme corpus de Djoumboulak Koum (plusieurs centaines de textiles), elle comporte actuellement deux volets principaux et complémentaires, consacrés aux fibres et aux toisons.
Les vestiges mis au jour au Xinjiang constituent une collection de toisons de l’âge du Bronze unique au monde, par son âge, son nombre et son état de conservation. Comparée à celle des qualités de laine tissées, l’étude des fourrures informe sur l’histoire des moutons et l’évolution de leur toison, très marquée du Bronze au Fer notamment (passage de toisons à poils courts, encore proches de celles des espèces sauvages de type mouflon, à des toisons à poils longs). Les analyses réalisées vont permettre des comparaisons inédites avec les phénomènes observés en Europe, sur les textiles de Hallstatt par exemple.

Couleurs, teintures et mordants

Ce travail sur les fibres va de pair avec une recherche sur les sources colorantes, actuellement axée sur le rouge, utilisé pour la décoration de grandes pièces de vêtement et de parures ou accessoires. Pour tenter de découvrir comment des teintures si vives et tenaces pour une période aussi ancienne ont été obtenues, nous avons développé une approche interdisciplinaire, combinant recherche botanique, analyses de colorants et archéologie expérimentale (réalisation d’échantillons de référence suivant divers protocoles de teinture et de mordançage). L’attention est portée non seulement sur l’identification des plantes tinctoriales utilisées, mais aussi sur celle de mordants, dont l’usage a représenté une avancée majeure dans l’histoire de la technologie de la teinture et le développement de l’artisanat textile.

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