Projets collectifs quinquennaux ArScAn
Journée d’études « Épistémologie de l’archéologie »
organisée par
Sophie A. de Beaune (Ethnologie préhistorique)
et Laure Fontana (Archéologies environnementales)
Mercredi 11 avril 2018
Lieu : Bâtiment Max Weber, salle Séminaire 2.
Ce thème transversal « Épistémologie de l’archéologie » concerne tous les chercheurs qui s’interrogent sur leur discipline. La première journée d’études est consacrée à la relation entresources écrites et vestiges archéologiques. Nous examinerons la pratique des chercheurs qui étudient ces sociétés en intégrant les deux types de sources et notamment leur prise en compte de données parfois contradictoires.
Chaque intervenant est invité à présenter l’évolution de sa propre pratique par rapport à cette thématique et éventuellement sa vision de la manière dont elle a été traitée au cours de l’histoire de l’archéologie. Idéalement, la présentation d’un exemple concret pris dans le registre de son travail illustrera son propos. Nous avons volontairement fait appel à des chercheurs qui ne sont nécessairement archéologues afin d’enrichir les débats.
Chaque intervention, de 45 mn, sera suivie d’une discussion.
Matin
10h00 Thierry Bonnot (CNRS, IRIS/UMR 8156, Paris) : Terrain anthropologique et tranchée archéologique ; description et analyse des données, pratiques de l’enquête.
Pratiquant l’enquête anthropologique comme une démarche résolument historique, c’est-à-dire décrivant des situations sans les isoler des conditions passées et présentes de leur possibilité,j’étudie le rapport aux objets matériels et notamment leur mise en patrimoine vue sous l’angle de leur appropriation par les acteurs et les collectifs. Ce travail nécessite une attention soutenue aux faits de terrain. Grâce à cette vigilance, en maintenant le contact avec les riverains des sites industriels désaffectés,j’ai pu faire émerger il y a peu de temps une problématique nouvelle, celle des déchets industriels issus de la production des objets céramiques au coeur de mes enquêtes. La découverte d’un dépotoir industriel où l’entreprise se débarrassait de ses moules, de ses débris d’enfournement et des produits non commercialisables a infléchi de façon décisive mon travail. L’exploration de ce site nécessitait une fouille, pratique a priori réservée aux archéologues. Accepter de mener à bien ce projet nécessitait d’adopter des méthodes relevant d’une autre discipline que la mienne, d’un autre métier. Mon intervention reviendra sur le contexte de cette expérience, sur son déroulement et ses résultats. En comparant ce travail avec celui effectué sur un site encore en élévation, vestige industriel du même secteur d’activité situé à une quinzaine de kilomètres du premier, je m’interrogerai sur une archéologie sans fouille, combinant entretiens, inventaires, recherches archivistiques et réflexion sur la mémoire familiale.
En tentant de me tenir au plus près de ces multiples configurations et situations, j’organiserai ma communication autour de quelques questions. L’enquête de terrain est la base de tout savoir ethnologique, mais ce que nous appelons terrain couvre-t-il les mêmes réalités pour l’archéologie ? Le travail de description des choses et des situations est-il identique pour les deux disciplines ? Quelles sont les données de l’anthropologue? Sont-elles différentes de celles de l’archéologue ? Et le récit construit à partir de ces données apporte-t-il des connaissances de même nature ?
11h00 Georges Raepsaet (ULB, Bruxelles) : Archéologie de l’économie et des techniques productives dans l’Antiquité (Monde gréco-romain) : 1968-2018. Une révolution copernicienne ?
Dans une introduction épistémologique concernant la période 1968-2018, G. Raepsaet traitera du passage du minimalisme marxiste et finleyen au maximalisme « néo-libéral ». Il évoquera aussi le rôle de l’archéologie et de la méthodologie pluridisciplinaire (dans le sillage de la New Archaeology), dans le renouvellement de l’histoire économique de l’Antiquité.Les études de cas présentés concerneront les technologies rurales de production et de transport dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, et leur finalisation historique. Trois cas seront évoqués : les techniques antiques de transport attelé, la moissonneuse gallo-romaine et la « révolution du
collier d’épaule ».
L’exposé s’achèvera par quelques réflexions sur le poids des contextes de pensée et l’obstacle épistémologique, la nécessité et les limites de l’interdisciplinarité, l’illusion des modèles et de l’histoire totale, les nouveaux dogmes et les oubliés de la nouvelle économie.
Après-midi
14h30 Marie-Christine Bailly-Maître (CNRS, LA3M – UMR 7298, AMU) : La production de minerais et métaux non ferreux au Moyen Âge. Évolution d’une recherche au cours de 40 dernières années.
Au Moyen Âge, le métal entre dans tous les domaines de l’économie. La production de minerais/métaux monnayables – or mais surtout argent – et des minerais associés – plomb et cuivre – constitue un enjeu stratégique. L’élément déclencheur de l’intérêt pour les mines, à la fin des années 1970, est le développement de l’archéologie minière qui a fait prendre conscience du potentiel de cette thématique. L’archéologie minière était seule à même, dans ces années-là, d’apporter des informations concrètes et inédites sur un pan de l’activité humaine sur le temps long. Les recherches menées ces 40 dernières années ont considérablement renouvelé les synthèses passées (Bloc 1933, Lombard 1947, de Boüard 1947, Renouard 1950, Miskimin 1962, Bautier & Sornay 1968/1974) en apportant des données supplémentaires et en développant de nouvelles
méthodes.
Étudier les métaux sur le long Moyen Âge signifie s’intéresser à des champs de recherche très divers, mais dont ils sont le dénominateur commun. Désormais les recherches portent sur les rapports de force politiques et économiques, la réglementation de l’activité, les incidences sociales (statut des acteurs au fil des siècles), les flux des compétences, les grandes phases de mutations techniques, le poids des données naturelles sur le déroulement de l’activité (géologie et gîtologie, hydrologie, réserves en combustibles). Les paysages constituent un des axes majeurs de la recherche car l’activité extractive a eu un impact important : modification de la topographie naturelle, déforestation, pollution, localisation de l’habitat, etc.
Si un gisement est le produit d’une histoire géologique, son exploitation est le produit d’une histoire des techniques et des hommes sur la longue durée. Cela suppose des approches à la fois historiques, archéologiques, archéométriques, géographiques et géologiques, environnementales à partir des sources écrites, du terrain, de l’iconographie, de l’ethnoarchéologie. Seule une réelle synergie entre les chercheurs permet de prendre en compte dans son ensemble le circuit des métaux, du minerai à son usage final, voire son recyclage.
15h30 Fabrice Guizard (Université de Valenciennes – UMR 7041 ArScAn, Archéologies environnementales) : La « baleine », Une histoire naturelle impossible
Les médiévistes travaillent depuis un siècle sur la « baleine », avant tout comme produit de chasse et de consommation. L’historien sait de quoi il est question, philologiquement parlant : les sources écrites usent des mots ballaena ou cetus dans un contexte culturel qui leur donne du sens. Mais le cétologue ne sait pas de quoi il s’agit. Lorsque les études historiques des années 1960 et 1990 racontent la chasse aux mammifères marins, les termes « baleine », « dauphin », voire « marsouin » sont employés de manière générique par les chercheurs qui ne se préoccupent pas en vérité d’identifier un animal. À vouloir chercher à identifier les cétacés historiques, on est confronté à l’indigence des textes et à la pauvreté du corpus archéozoologique, qui convergent plus ou moins sur les espèces capturées et consommées. L’approche zoologique est indispensable pour essayer de reconstituer l’histoire naturelle des cétacés qui vivaient au large des côtes européennes (atlantique et méditerranéenne) au Moyen Âge. Toute la documentation écrite disponible (récits hagiographiques, encyclopédies altomédiévales…) doit être critiquée et débarrassée de la pellicule exégétique qui maquille l’animal : il est exemplaire parce que faisant partie du bestiaire biblique. Mais nous buttons alors sur le vocabulaire limité qui réduit la biodiversité marine à sa plus simple expression ; nous nous heurtons à la méconnaissance des auteurs anciens dont la vocation n’est pas d’écrire des ouvrages zoologiques. Et certaines descriptions éthologiques sont en conflit avec les connaissances actuelles du comportement et de la biologie des animaux. Les réponses obtenues sont davantage d’ordre culturel que naturel : les cétacés que l’on reconnaît, que l’on chasse, que l’on mange, qui ont une valeur symbolique assez forte pour participer à l’univers familier des gens du Moyen Âge. L’existence même de certaines espèces de mammifères marins est à chercher autrement, l’historien devant faire appel à l’archéologie et à la cétologie. Mais les taxons sont rares et parfois difficiles à identifier. Les mammifères marins vivant aujourd’hui au large des côtes françaises ne figurent pas tous dans les collections de références ; les pièces, de petite taille, sont des fragments modelés, retaillés pour un usage artisanal. L’analyse doit passer par l’ADN. L’historien, dépassé, est dans la nécessité de collaborer avec les « sciences dures ».
16 h 30 Discussion générale
Pour toute information : contacter Sophie A. de Beaune : sophie.de-beaune@mae.cnrs.fr
ou Laure Fontana : laure.fontana@mae.u-paris10.fr
Entrée libre dans la limite des places disponibles.
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